personnage avec bulle de discussionLes communautés de pratiques en ligne présentent de nombreux atouts pour accélérer la transition agroécologique : échanges entre agriculteurs, réassurance, ouverture sur d’autres pratiques ou manière de penser les systèmes agricoles…. L’animation de ces communautés en ligne est un rôle clé pour sensibiliser les agriculteurs et les amener à des changements de pratiques. Faire vivre les échanges au sein d’un réseau social dépasse le simple rôle de modération ou de community management : il s’agit à la fois de mettre en place les conditions concrètes pour créer l’envie de tenter l’agroécologie et pour garantir la qualité des contenus échangés entre professionnels agricoles. Capitaliser les connaissances échangées via un média social nécessite une organisation et des moyens dédiés. Les échanges en présentiel se révèlent dans ce cas autant complémentaires qu’indispensables pour ce type de service. 

Article rédigé par Laetitia Fourrié et Marianne Cerf

Tout service d’accompagnement à la transition agroécologique lié  à une communauté en ligne nécessite un travail d’animation. Ce dernier peut être rempli par une ou plusieurs personne.s dédiée.s. Il comporte des spécificités qu’il faut prendre en compte pour animer la communauté en ligne et accompagner les changements de pratiques agricoles.

Les communautés en ligne pour faciliter le déclic vers la transition agroécologique

Les communautés en ligne permettent d’ouvrir l’environnement social des agriculteurs, sans limite spatiale et temporelle. La diversité des acteurs présents dans une communauté en ligne et la multitude des connexions qui peuvent s’établir entre personnes, qui sont dans des dynamiques de changement différentes, permettent d’offrir à chaque membre un nouveau système social où les individus ne se connaissent pas nécessairement dans la vraie vie.

Mémo pour l’animateur

Le fil de discussion et sa communauté se révèlent particulièrement puissants pour accompagner la transition agroécologique, proposant à l’agriculteur un espace de comparaison, d’auto-questionnement  par rapport à ses propres pratiques et manières de voir. L’animateur d’une communauté peut participer à configurer cet espace en sollicitant les agriculteurs membres à nourrir le fil avec de l’actualité des activités agricoles. Ces contributions offrent à chacun des membres des opportunités de contenu inattendu et d’exploration d’une diversité de paramètres pour certaines pratiques qui peuvent pourtant paraître connues à première vue.

1-9 -90 : des contributions très variables au sein d’une communauté en ligne

Il faut être conscient que les membres de toute communauté en ligne ne jouent pas le même rôle. Si certains membres vont assez facilement participer aux échanges en ligne, ils ne représentent que 10 % des membres de la communauté. La majorité est silencieuse (on parle des lurkers). Néanmoins ces  membres ne sont pas passifs : ils observent,  retirent des éléments de la dynamique de la communauté en ligne sans pour autant les partager avec les autres membres.

Mémo pour l’animateur

L’animateur doit donc avoir un double objectif : stimuler les échanges  pour faire réagir les membres (avec beaucoup d’animation, on peut monter la part des membres qui participent aux échanges à 40 %) et proposer des échanges pour les membres silencieux. Différentes techniques peuvent être utilisées pour stimuler la participation : posts d’information dans  le fil de discussion, appel à l’action (émoticône ou challenge sur une période déterminée), etc. Dans tous les cas, privilégier des choses simples (comme un like, post de photos) qui ne nécessite pas un niveau de maîtrise de l’outil élevé ou beaucoup de temps. De plus, le matériel utilisé influence le type de participation : par exemple, un mail s’écrit le soir depuis un ordinateur, une photo se poste dans le champ avec un smartphone.

Des communautés professionnelles entre pairs et experts

La composition de la communauté est importante. La présence et la visibilité des agriculteurs sont essentielles pour construire une image de communauté professionnelle et favoriser des échanges entre pairs. La présence et les interventions des experts sont également importantes pour ces communautés : elles participent à construire de la confiance dans la direction du changement engagé et réassurer ceux qui sont prêts à rompre avec certaines pratiques.

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Au départ, il peut être nécessaire de “recruter” des membres et de forcer les échanges pour créer la dynamique. Il peut être également plus pertinent de gérer des communautés dites fermées pour s’assurer de l’origine de chaque membre.

Par exemple, si on trouve des groupes publics Maraîchage sur sols vivants sur Facebook, ouverts aux jardiniers amateurs, un groupe fermé a été créé en parallèle pour garantir des échanges entre professionnels du monde agricole.

Faire vivre les échanges en ligne

Le processus de transition agroécologique ne peut s’engager sans un questionnement, un déclic. Des contenus de trois types sont nécessaires pour cela : les manières de faire (pratiques agro-écologiques), les manières de penser (aspects intellectuels), et des manières de vivre (aspects émotionnels).

90% des agriculteurs pensent que le premier rôle d’un réseau social pour la transition agroécologique est de découvrir des pratiques innovantes !

(Celina Slimi, 2022)

Mémo pour l’animateur

Dans cette perspective, le rôle de l’animateur est de se saisir de ce qui se joue dans la communauté et d’adapter son intervention pour que les échanges portent à la fois sur les manières de faire, de penser et de vivre la transition agroécologique.

Vers des pratiques innovantes, voire en rupture

Parmi les techniques agroécologiques, certaines sont bien connues mais il est nécessaire de montrer comment elles peuvent se déployer dans des contextes pédoclimatiques différents.

D’autres sont moins connues, voire transgressives : il s’agit alors de construire des références à travers l’expérimentation et des observations à la ferme.

Mémo pour l’animateur

Pour éveiller à la transition agroécologique des membres de la communauté en ligne, l’exposition  des agriculteurs au changement de pratiques de leurs pairs est un axe important des contenus qui doivent être échangés. L’exposition à une diversité de mise en œuvre d’une pratique participe à considérer une pratique innovante comme accessible. La mise en valeur de ce qui est tenté par un agriculteur et qui sort des sentiers battus permet de montrer que les règles et normes établies peuvent être remises en question tout en inscrivant ces changements dans un processus progressif d’essais.

De nouvelles manières de penser ses pratiques

L’exposition à une diversité de modalités spatio-temporelles de manières de faire, portées par des pairs, est un point important pour induire une déstabilisation, un questionnement, de l’étonnement.  et donc potentiellement d’initier un processus de transition agroécologique.

La manière de considérer les couverts végétaux illustre bien la diversité de manière de penser cette pratique agroécologique : une contrainte non désirée (rôle de CIPAN, en lien avec les arrêtés d’application de la Directive Nitrate), des couverts intermédiaires à vocation engrais verts, une plante de (multi)service à part entière, voire un élément constitutif d’un système de culture sans labour, un fourrage pour un troupeau…

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L’animateur doit veiller à ce que les échanges puissent ouvrir le champ des possibles et motiver les agriculteurs, en créant une certaine tension entre les habitudes et croyances de chacun et la prise de risques et les bénéfices associés à l’engagement dans la transition agroécologique (réassurance). A contrario, l’animateur doit également être attentif à ce qui empêche le doute ou l’étonnement pour éviter le statu quo.

Un autre regard sur le métier d’agriculteur et la profession agricole ?

Un média social est un espace où cohabitent et se confrontent des idées, chargées et valeurs, en rupture et en continuité avec le modèle agricole dominant.

Mémo pour l’animateur

L’animateur peut aider à renouveler le discours de la profession agricole et intégrer les défis de la transition agro-écologique. A travers ses interventions, l’animateur peut resituer les éléments partagés dans cette perspective et revaloriser la profession agricole (sortir de l’agriculteur pollueur). Le récit peut se construire autour de plusieurs éléments de discours  : l’agriculture pour répondre à la crise écologique et climatique,  la convergence entre amélioration des performances économiques et transition agro-écologique, la diversité des systèmes (ne pas opposer agriculture bio et conventionnelle), importance du lien et du collectif pour surmonter les difficultés et s’entraider, …

Par ailleurs, un nouvel objet ne prend sens que lorsqu’il y a ré-articulation avec l’existant. L’animateur doit donc  inciter à resituer les éléments partagés pour aider à les remettre en contexte.

Animer un média social pour capitaliser les connaissances

Les connaissances, qu’elles soient scientifiques ou expérientielles, sont indispensables dans toute démarche de transition agroécologique. Les médias sociaux sont des outils utiles pour formaliser et partager les connaissances en ligne.

Capitaliser les connaissances ?

La capitalisation des connaissances englobe un travail d’accumulation, de formalisation et de structuration des connaissances à partir d’expériences d’agriculteurs ou agricultrices ou de données et résultats issus de travaux menés par les organismes de conseil, de R&D, de recherche. Cette capitalisation repose sur des hypothèses plus ou moins explicites quant à la façon dont les contenus mis à disposition seront  transposables et ré-appropriables par d’autres.

La formalisation des connaissances consiste à choisir les types de contenus, à la fois  pour faciliter la transposition et l’adaptation des connaissances (par exemple en mettant en lumière les liens systémiques, les logiques d’action, les conditions de réussite, etc.) et pour donner  envie de changer, imaginer l’impensable et aider à explorer la mise en action (on peut parler alors de générativité des connaissances).

Types de médias sociaux ont été identifiés parmi les travaux conduits dans le projet Agor@gri :

  • des médias sociaux pour valoriser des contenus existants
  • des médias sociaux pour produire et partager des contenus pour la transition agroécologique
  • des médias sociaux pour soutenir un processus de capitalisation collectif de connaissances.

Les échanges en ligne ne font pas tout

Le processus de capitalisation est plus ou moins complexe mais il peut se décrire selon des étapes communes quel que soit le type de média social : identification, recueil des données, édition/formalisation, validation, diffusion, voire traçage des usages.

Tout ce processus ne peut se dérouler uniquement en ligne. Le travail de recueil et de formalisation des connaissances se fait principalement en présentiel. Par exemple, des réunions du comité éditorial OK Eleveur sont organisées régulièrement  pour sélectionner collectivement les ressources à mettre en ligne sur la plateforme. Des échanges en salle ou lors de tours de plaine permettent aux agriculteurs d’un groupe d’expliciter et de mettre en débat des connaissances qui ont été échangées en ligne.

Mémo pour l’animateur

Si le stockage et la diffusion des ressources pour la transition agroécologique sont effectués en ligne via un média social numérique, l’étape de formalisation nécessite des échanges complémentaires en présentiel. L’animateur doit donc créer, à une fréquence adaptée, ces conditions pour permettre cette étape clé du processus de capitalisation.

La mise en ligne n’est pas l’étape ultime du processus d’accompagnement à la transition agroécologique. Mais on sait très peu le devenir de ce qui est mis en ligne en termes de mobilisation des connaissances pour de nouvelles pratiques.

Des connaissances et savoirs de nature variée

Les médias sociaux permettent de mettre en lumière des connaissances situées comme la description des innovations des agriculteurs. Il existe une  formalisation de ces savoirs mais rarement de montée en généricité, peu de structuration, peu de ‘capitalisation’.

On constate également que les connaissances scientifiques et académiques sont peu explicitement reliées aux savoirs  et savoir-faire situés. Ce travail de lien entre connaissances académiques et expérientielles est un point de vigilance à avoir pour tout média social. Là encore, il nécessite souvent des interactions en présentiel.

Au-delà des connaissances mises en lignes en tant que telles, il est intéressant d’analyser les connaissances cachées, dites métaconnaissances, au sein d’un média social. En effet, la formalisation des connaissances met en jeu des critères/formats, choisis (sans forcément être explicités) pour favoriser l’appropriation par d’autres pour passer à l’action. Ces choix de formats, le rubriquage du média social et des ressources créées sont des exemples de métaconnaissances. Si la dynamique d’accumulation des connaissances est visible par tout le monde sur un média social (par exemple la liste des ressources référencées dans le média en ligne), la dynamique de formalisation ne l’est pas pour les personnes qui consultent en ligne. Elle existe pourtant et mérite d’être décryptée.

Mémo pour l’animateur

Le travail de capitalisation doit être actif : montée en généricité des connaissances, lien entre savoirs locaux et connaissances scientifiques, explicitation des métaconnaissances. L’animateur joue donc un rôle clé, souvent dans l’ombre, dans la qualité et la structuration des connaissances capitalisées dans un média social numérique. 

Pas de capitalisation sans une organisation et des moyens dédiés

L’animation est déterminante pour la réussite d’un projet de média social. Un projet clair (comme par exemple sur les techniques de maraîchage sur sol vivant, l’auto-construction de matériel agricole, l’élevage) facilite le suivi de la ligne éditoriale du média social.

Le processus de capitalisation nécessite différentes compétences et savoir-faire complémentaires pour recueillir, formaliser, produire les formats et mettre en ligne les informations sur les pratiques et innovations des agriculteurs.

Ainsi, toute l’organisation autour d’un service  de capitalisation des connaissances a un coût qui  doit être pris en compte dans le modèle économique : adhésions, publicité, fonds publics ou fonds privés pour soutenir un projet (donations) ou encore coût du service porté par les organisations.

Mémo pour l’animateur

L’animateur est un maillon d’une organisation dédiée à la capitalisation des connaissances, dont les moyens sont variables. Des règles au sein de la communauté en ligne  peuvent être mises en place pour aider ce travail de capitalisation, comme par exemple, la compilation (voire la synthèse) des réponses à une question par celui qui l’a posé. Une manière de déléguer un bout du processus de capitalisation et de le rendre visible pour les membres.

Animation de communauté en ligne :

Thèse de Célina Slimi, soutenue le 11 mars 2022. La transformation des situations des agriculteurs et agricultrices en transition agroécologique : analyse du soutien des collectifs de pairs par le prisme de la théorie de l’enquête

  • Accès au manuscrit (voir notamment le chapitre 3.2 : Les échanges entre pairs, une analyse du potentiel d’induction de l’indétermination (pp 193-227)

Modalités d’organisation des acteurs agricoles pour une capitalisation des connaissances via des outils numériques. Travaux conduits par Marianne Cerf, Marie-Hélène Jeuffroy, Paola Salazar, Laura Le Du (INRAE) et présenté le 21 novembre 2023 au séminaire PACON. Voir la vidéo des présentations.